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Sénégal : Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, un tandem à l’épreuve du pouvoir

« Ça fait dix ans maintenant que je lutte pour [qu’Ousmane Sonko] s’installe dans le fauteuil présidentiel. Je n’ai pas abandonné cette lutte et je ne compte pas l’abandonner, soyons clairs. » Ces quelques mots du président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, lors de sa première conférence de presse, samedi 13 juillet, sont rares pour un dirigeant tout juste élu et désireux d’asseoir son pouvoir. Traduisent-ils une complicité sans faille ou une soumission du chef de l’Etat à son premier ministre et mentor ? Inévitablement, ils interrogent sur le lieu où se situe aujourd’hui le pouvoir au Sénégal.
Car depuis la nomination d’Ousmane Sonko à la tête du gouvernement, Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, a instauré un partage des responsabilités avec celui dont le nom était scandé lors de son investiture, le 2 avril, et qui n’avait pu se présenter à l’élection du fait de ses condamnations judiciaires. Et à ceux qui prédisent une rivalité inévitable avec son premier ministre, désormais à une seule marche du pouvoir, le chef de l’Etat répond : « Je l’encourage non pas à lorgner le fauteuil présidentiel, mais à le regarder sans sourciller. »
Pour ses opposants, la brèche est ouverte. « Le cheval Sonko est devenu le guide du cavalier Diomaye, ironise Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yakaar, la coalition du pouvoir déchu. On s’attendait à une colocation, mais on a un président qui trahit la Constitution en faisant allégeance à son premier ministre […] Qu’il démissionne et organise des élections anticipées ! Si Sonko est élu, au moins la ligne sera clarifiée. »
Un président sous l’emprise de son premier ministre ? En tant que chef du gouvernement, Ousmane Sonko est au cœur de l’arène politique. Il accuse, avec la même verve que lorsqu’il était opposant, certains médias de « ne pas payer leur dette fiscale », des juges d’être « corrompus ». C’est aussi lui qui s’expose, comme lorsqu’il se rend dans le quartier populaire de Colobane, à Dakar, pour calmer la colère des vendeurs ambulants après une nouvelle opération de déguerpissement et se fait huer par ceux qu’il assurait défendre.
Soudé par une relation singulière, le binôme n’est néanmoins pas à l’abri des rivalités entre la primature et le palais présidentiel, situé à 200 mètres l’un de l’autre sur les rives de l’Atlantique. « Le premier ministre a gardé une certaine méfiance envers l’appareil d’Etat. Il veut avoir l’œil sur tous les dossiers pour ensuite décliner les grandes orientations auprès du président. Mais il donne ainsi l’impression que le cœur du pouvoir n’est pas au palais mais à la primature », analyse, sous le couvert de l’anonymat, un haut fonctionnaire encarté à l’Alliance pour la République (APR), le parti de l’ancien président Macky Sall (2012-2024).
L’image du duo crispé qu’avait formé ce dernier avec Amadou Ba, candidat malheureux à sa succession, semble agir comme un contre-exemple pour les nouvelles autorités. Critiques de l’hyperprésidentialisme en vigueur au Sénégal, MM. Faye et Sonko avaient proposé lors de la campagne la création d’un poste de vice-président taillé sur mesure pour le futur patron du gouvernement. Si l’idée n’a pas été mise en œuvre, elle demeure à l’esprit du chef de l’Etat. « Le président a trop de pouvoir », a-t-il répété lors de son entrevue avec la presse, préconisant une réforme constitutionnelle pour rééquilibrer l’exécutif.
Alors que l’opposition, sonnée depuis sa défaite, dénonce un président fantoche, l’intéressé met en avant leur relation « spéciale », gage de confiance mutuelle entre les deux hommes. Un cheminement commencé en 2014 avec la création du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) par ces deux anciens inspecteurs des impôts soudés par le syndicalisme et la volonté de « rupture » avec la gouvernance de Macky Sall.
Les liens se renforcent lors de leur passage en prison, dont ils seront extraits le 15 mars après avoir été amnistiés par celui qu’ils vilipendaient, à neuf jours du premier tour de la présidentielle. « Le premier ministre n’était pas mon ami jusque-là », a livré Bassirou Diomaye Faye, qui a surnommé l’un de ses fils Ousmane : « Avant notre sortie de prison, je lui ai suggéré qu’on devienne amis pour éviter d’être divisés par les gens. » Et d’ajouter qu’Ousmane Sonko, « sous l’ombre » duquel il est resté « pendant dix ans », « accepte » désormais la prééminence constitutionnelle.
Car si le rapport de force psychologique semble en faveur d’Ousmane Sonko, la réalité du pouvoir exécutif demeure entre les mains de Bassirou Diomaye Faye. Et comme ses prédécesseurs et ses pairs à l’étranger, ce dernier marque son territoire sur le terrain de la diplomatie.
Ainsi, alors qu’Ousmane Sonko avait annoncé, quelques jours après sa nomination, une tournée dans les capitales de l’Alliance des Etats du Sahel (Niger, Mali, Burkina Faso), en opposition frontale avec le reste de leurs voisins ouest-africains et la France, c’est finalement le président qui est allé jouer les facilitateurs. Dans les relations avec Paris, si Ousmane Sonko ne s’est pas privé, en mai, de déclarations acerbes à l’endroit d’Emmanuel Macron, accusé d’avoir fermé les yeux sur la « répression » sous Macky Sall, le président Faye, de passage à l’Elysée en juin, a quant à lui préféré souligner la « relation d’amitié » qui unit les deux pays, tout en appelant à un « partenariat équilibré ».
« Comme Abdoulaye Wade [président de 2000 à 2012], qui, après vingt-six ans dans l’opposition, peinait à se présidentialiser, Bassirou Diomaye Faye utilise la politique étrangère pour se tailler le costume. C’est d’autant plus important qu’il n’a jamais occupé de fonctions politiques », analyse Mamadou Lamine Sarr, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université numérique Cheikh-Hamidou-Kane.
Reste à savoir comment ce compagnonnage évoluera avec l’exercice du pouvoir. Elu au premier tour avec 54 % des voix – une première pour un opposant –, Bassirou Diomaye Faye sait les terrains sur lesquels il est attendu : le chômage des jeunes et la vie chère. En embuscade, l’opposition, contrainte à l’alternance après douze ans de pouvoir, espère lui imposer une cohabitation après des législatives anticipées indispensables pour la pérennité du gouvernement Sonko, qui ne dispose que d’une quarantaine de députés sur 165.
Autant d’écueils que le jeune président dit voir venir sans crainte : « Je suis très serein parce que j’ai le meilleur des premiers ministres de l’histoire du Sénégal. Ceux qui pensent pouvoir me pousser à bout pour que je me brouille contre lui, qu’ils abandonnent, ils n’obtiendront pas gain de cause. »
Coumba Kane
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